Accréditation

Étude de cas - L’école du documentaire cubain : une visibilité dynamique à l’international

Dans le cadre de sa programmation autour du documentaire de patrimoine, le MIFC proposait le 19 octobre une nouvelle perspective sur le sujet. Une étude de cas sur l’école du documentaire cubain, modérée par Magali Kabous et réunissant Luis Tejera, Luciano Castillo, Benjamin Léréna et Ernesto Daranas, a ainsi pu faire découvrir aux accrédités du Marché l’importance inédite de ce genre cinématographique dans l’histoire filmique de Cuba.

 

Un patrimoine méconnu

Historien du cinéma, critique et directeur de la cinémathèque de Cuba, Luciano Castillo a ouvert la discussion en évoquant les prémisses du cinéma cubain. Remontant à 1897, le patrimoine cubain est alors discret, avec des films où des schémas de danse, de musique et du genre mélodramatiques dominent. 

Cette première période est nommée « la période Lumière » explique Luciano Castillo, d’après les cinéastes qui souhaitent enregistrer des images de leur époque et de l’air du temps.

 

Création de l’ICAIC

En 1959, le cinéma cubain s’organise autour de l’Institut Cubain des Arts et de l’Industrie Cinématographique (ICAIC), créé quelques mois après la fin de Révolution en 1959 qui porte Fidel Castro au pouvoir. 

Cette création et solidification du cinéma cubain est un véritable bouleversement dans la répartition du poids des cinématographies latino-américaines. En effet, Luciano Castillo précise que jusqu’à présent, le cinéma mexicain était bien plus reconnu que le cubain. Mais avec la création de l’ICAIC, Cuba s’impose comme un phare cinématographique en Amérique latine. 

Le documentaire prend alors de l’importance : les cinéastes souhaitent utiliser leur art et leur technique pour faire de Cuba un reflet du monde. La fiction se développe petit à petit, mais le documentaire est le genre qui prend le plus d’importance. Les réalisateurs, apprenant par leurs propres moyens à faire du cinéma, se tournent vers le genre documentaire, et se forment en école de cinéma pour techniciens, notamment autour de Santiago Alvarez et de son Now (1965), ou de Octavio-Cortez. Bientôt, le cinéma documentaire cubain connaît un intérêt international, avec sa reconnaissance dans de grandes compétitions, comme au festival du documentaire de Leibzig. Souvent, le prix de la Colombe d’or est remporté par des artistes cubains.

 

Focus sur le Noticiero 

Le Noticiero devient la manière principale de faire du cinéma documentaire à Cuba. Dans une forme que les artistes souhaitaient atemporelle, avec un humour satirique, le Noticiero offre aux créateurs une grande liberté dans sa thématique et son style. Rendant compte de l’actualité nationale et internationale, ces productions concurrençaient les actualités télévisées. 

Projetés dans les salles de cinéma, les épisodes du Noticiero étaient hebdomadaires, et diffusés pendant 30 ans. En tout 1493 épisodes ont été tournés et projetés, d’une durée d’environ vingt minutes explique Benjamin Léréna, responsable des projets de restauration de l’INA. Des épisodes offrant à leur public des images inédites sur l’actualité de l’île mais aussi du monde. 

Des images de l’époque sont utilisées, mais aussi des images d’antan : l’épisode titré Viva la Republica utilise ainsi des images d’archives, datant d’avant 1959. 

 

Un héritage bouleversé

Luciano Castillo poursuit, évoquant ensuite les difficultés rencontrées par l’ICAIC au moment de la chute du bloc socialiste. En effet, l’année 1990 marque la fin de la Guerre froide et du bloc socialiste dont fait partie Cuba. L’île connaît alors une grande pénurie de pellicules, tant le bloc socialise perfusait le cinéma cubain, ajoute Benjamin Léréna. Livrées par la RDA, plus aucune pellicule ne rentre dans Cuba. « C’est un coup de grâce pour le pays » explique Luciano Castillo. Le Noticiero s’arrête. 

En parallèle, le pays fait face à des restrictions d’électricité, et doit donc faire sans air climatisé. Un cataclysme pour les archives de l’ICAIC, qui passent onze ans sans climatisation. L’historien parle d’un « drame absolu », ayant valu au pays de commencer le XXIème siècle « avec un héritage désastreux » : une grande partie du patrimoine datant d’avant 1959 a disparu. Les œuvres des années 1980 et 1990 ont en partie été épargnées.

 

Les enjeux de la conservation aujourd’hui

Se posent alors la question de la protection et de la restauration de ce patrimoine détérioré. Une nécessité, rendue difficile par la recherche de financements. Luciano Castillo explique que l’impulsion des premières restaurations sont venues de la Film Foundation de Martin Scorsese et Francis Ford Coppola, mais aussi de la cinémathèque de Bologne. L’Université de Kingston, à Toronto, a ensuite participé à restaurer l’héritage de Sara Gómez. De son côté, l’INA a restauré l’intégralité des Noticiero.

Un travail détaillé par Benjamin Léréna, qui raconte les trois ans de négociation qu’il a fallu entre les institutions française et cubaine pour le réaliser. L’ICAIC avait des réticences à l’idée de se séparer de près de 1500 œuvres, de peur qu’elles ne reviennent pas ou soient encore plus détériorées, précise-t-il. Finalement, les deux entités se sont entendues, et trois ans après le début du projet, tous les épisodes ont été restaurés, étalonnés et numérisés avant d’être renvoyés en format physique et numérique sur l’île. L’INA et l’ICAIC, selon une convention de dix ans signée en 2012 et renouvelée en 2022, se partagent les recettes des ventes des droits.

Mais outre l’INA, le patrimoine cubain peine encore à trouver des subventions pour être complètement restauré. Une difficulté évoquée par Ernesto Daranas, réalisateur. Ce dernier présentait dans la soirée du 19 octobre son documentaire Landrián sur le cinéaste éponyme, oublié de l’histoire cinématographique de Cuba. « Je suis Cubain, mais je ne le connaissais pas » commente Luis Tejera, producteur du film avec sa société Altahabana, réaffirmant l’importance de la restauration et du travail d’Ernesto Daranas, qui s’est attelé à sauver la filmographie exploitable de Nicolás Guillén Landrián. Un travail réalisé avec l’aide du directeur de la photographie du cinéaste, qui a permis de restaurer dix des dix-huit films de l’œuvre de Landrián. « Un acte de justice » selon les techniciens qui ont œuvré sur ces œuvres, qui rendent enfin visibles des images « qui n’ont sûrement jamais été vues dans le monde », conclue Ernesto Daranas.

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