Accréditation

Focus Pays invité : Espagne

Cette année pour cette 10e édition du MIFC, le pays mis à l’honneur est l’Espagne qui a ainsi pu parler de ses circuits, ramifications et de sa diversification. Faire l’état de la cinéphilie et de la disponibilité du patrimoine de ce pays qui côtoie nos frontières. 

Autour de la table, animée par le rédacteur en chef web de ParisBCN Vicenç Batalla Franch, on a pu retrouver Sophie de Mac Mahon, directrice des ventes chez FlixOlé et Video Mercury Films, Diana Santamaría distributrice chez Atalante Cinema, Joan Castelló, gérant d’El Setanta-nou del Carrer Tallers SL, Joxean Fernández, directeur, Cinémathèque Basque et membre du comité de sélection du San Sebastian Film Festival, José Pastor,responsable fiction et cinéma ) la RTVE, Pilar Toro, directrice du marketing chez Filmin et Philippe Chevassu, président de Tamasa Distribution. 

Le modérateur Vicenç Batalla Franch a commencé par faire un tour de table pour que chacun se présente et fasse un peu le point sur son activité en Espagne. Le premier a avoir pris la parole est Joxean Fernández et il a pointé une évidence qui ne l’était pas tant : l’Espagne est très différente de la France. S’il précise que la Cinémathèque espagnole à Madrid a été créée en 1953, sous Franco, elle n’est en fait pas la seule en Espagne, chaque région ou presque ayant la sienne, agissant avec une certaine indépendance. En tout, le pays compte 17 cinémathèques dont la Basque qu’il représente. Et si le cinéma est plutôt précarisé localement, les choses sont en train de changer car une loi, qui devrait être promulguée en fin d’année ou en début d’année prochaine, inscrira le cinéma officiellement au patrimoine du pays et tous les films désormais produits devront être conservés. Pour Joxean, l’Espagne a besoin de beaucoup de pédagogie pour expliquer au grand public ce qu’est une cinémathèque et sur l’importance du patrimoine. 

Ensuite, José Pastor s’est exprimé autour de la télévision publique espagnole dont le rôle, et le devoir, est de mettre en avant le patrimoine cinématographique espagnol. Plusieurs cases lui sont d’ailleurs dédiées et José Pastor constate que ce sont ces films là que les téléspectateurs ibères préfèrent aux films plus contemporains. L’idée aussi de la RTVE est de développer le replay et le non-linéaire pour donner accès à ces films de patrimoine, directement après leur diffusion en linéaire ainsi qu’à toute une documentation les concernant. A noter que la RTVE a une relation particulière avec la cinémathèque de Madrid à qui elle confit tout son matériel et qui le numérise pour le conserver précieusement. 

De son côté, Sophie de Mac Mahon a rappelé l’histoire de Video Mercury, société créée il y a 50 ans environ et qui a acquis au fur et à mesure des années de nombreux catalogues de grands producteurs espagnols et même étrangers pour un total de quelques 8 000 films. La société possède également les droits à vie du catalogue RKO ainsi que les droits locaux et internationaux de 60% des films espagnols depuis les années 1930 soit environ 4 000 films. Leur but est de conserver et de restaurer ces oeuvres afin de continuer à pouvoir les faire circuler en Espagne et en dehors. Vidéo Mercury a ainsi créé un laboratoire au sein de ses locaux ainsi qu’une société de distribution. Ils ont même mis en place des chaînes de télévision dont la 8 Madrid et Somos (chaîne payante). Et comme le cinéma de patrimoine, en particulier le plus ancien, n’est pas le plus réclamé par les plateformes, Vidéo Mercury a créé FlixOlé, une plateforme qui réunit les films de leur catalogue ainsi que ceux d’une quinzaine d’ayants-droits espagnols. 

Cette difficulté du cinéma de patrimoine, Diana Santamaría la connaît bien en tant que distributrice chez Atalante. Si la société prévoit de sortir en 2023 cinq films du cinéaste portugais Paulo Rocha mais aussi des oeuvres du réalisateur chinois Lou Ye et Le sang de Pedro Costa, elle sait que le contexte de distribution n’est pas évident car le marché du film de patrimoine n’est pas prioritaire en Espagne. Il faut, comme toujours, trouver les bonnes méthodes pour attirer les publics. Cependant certaines oeuvres marchent très bien comme des films de Charlie Chaplin qui ont cumulé quelques 20 000 entrées ou une rétrospective Wong Kar-Waï qui a bien marché. Les difficultés sont là mais les opportunités aussi. Il en est de même pour Joan Castelló qui rappelle que, comme partout ailleurs, la vidéo physique souffre en Espagne et accuse une chute de chiffres d’affaire colossale. Sauf que, comme le sous-entendait aussi la table ronde de dimanche dernier à l’occasion du 4e Salon du DVD, les éditions collector fonctionnent très bien.

Du côté des plateformes comme Filmin, qui fête ses 15 ans, les choses sont un peu plus enthousiasmantes comme l’explique Pilar Toro. Cette plateforme est la 1re plateforme de streaming espagnole et fut la première à arriver en Espagne. L’idée pour eux est de traiter le cinéma classique à la même hauteur que les films frais, dans une réflexion d’événementialisation et dans le but de donner un accès facilité à la culture. Selon une étude récente menée par Filmin, il se trouve que la plupart de ceux qui regardent des films sur la plateforme sont ceux qui vont au cinéma. L’ambition est d’élargir ce public et surtout d’être toujours bien présent dans les 15 prochaines années. 

Une ambition partagée par Philippe Chemassu, principal distributeur de cinéma espagnol en France. Souhaitant faire voyager en France « l’insolence, l’indiscipline et le côté turbulent » de cette filmographie, il se réjouit de proposer un cinéma parfois mis de côté par les salles françaises, en dehors des cinémathèques, et présenter un regard nouveau sur ce pays et ses productions cinématographiques contemporaines par le biais de réalisateurs inédits dans l’Hexagone.

Le tour de table s’est ensuite orienté vers plusieurs questions, dont celle des budgets alloués aux acteurs du cinéma classique en Espagne. Des budgets qui tendent à évoluer, avec l’arrivée d’une nouvelle loi reconnaissant le cinéma classique comme un héritage, et rentrant donc dans les fonds attribués au patrimoine. Car là où le CNC prodigue en France près de 70 millions € pour la restauration, en Espagne les aides sont de moins d’un million d’euros explique Joxean Fernández. Un budget minime face à l’augmentation du prix de l’électricité que connaît l’Espagne. De ce fait, la restauration se fait bien souvent sans budget : pour Sophie Mac Mahon, l’absence de fonds est « une vraie carence, qui montre qu’on ne considère pas le cinéma comme nécessaire ». Et si l’entrée du cinéma dans l’héritage national est actée par la loi, c’est déjà un premier pas. Reste ensuite à accompagner les salles dans la distribution du cinéma classique. Une idée soutenue par Diana Santamaría, qui rappelle que les aides à la distribution du pays ne concernent pas les œuvres de patrimoine, résultant en un refus des salles commerciales d’exploiter de telles œuvres. Tandis que la France voit ses salles Art et Essai programmer des films de patrimoine grâce au soutien de l’Afcae, pour la distributrice l’Espagne devrait proposer une classification équivalente pour ses salles et ne pas les limiter aux films commerciaux. « Des cinémas ferment tous les jours » ajoute Sophie Mac Mahon.

Concernant le public ibérique des films de patrimoine, le bilan est positif. Sophie Mac Mahon détaille par exemple les données recueillies par FlixOlé, ces dernières mettant en avant que son public est jeune, compris entre 30 et 35 ans, et s’intéresse au cinéma classique. Joan Castelló aussi voit ses spectateurs rajeunir, la nouvelle génération s’intéressant au passé voire se construisant en opposition avec les films contemporains. Pour Pilar Toro, la question n’est pas de savoir si le public a envie de voir de vieux films, mais plutôt d’inciter le public à le vouloir. La question de la promotion lui semble essentielle : elle cite par exemple le travail éditorial réalisé autour de La maman et la putain cette année. 

Enfin, tous se rejoignent sur la question de l’identité cinématographique espagnole, qu’il reste encore à développer. « Comment faire pour sortir des films complètement inconnus du grand public » interroge Philippe Chevassu ? « L’Espagne est malade de ne pas avoir assez admiré ses artistes » conclue Joxean Fernández.

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