Accréditation

Le grand témoin : Margaret Bodde (The Film Foundation)

En ouverture de cette 9e édition, le MIFC a accueilli Margaret Bodde, directrice générale de The Film Foundation. A cette occasion, elle a pu présenter les missions au coeur de cette organisation impulsée par Martin Scorsese ainsi que les différents programmes qu’elle a mise en place pour aider à préserver le cinéma de patrimoine mondial. 

Margaret Bodde 2

La masterclass de Margaret Bodde, animée par Gérald Duchaussoy, a débuté sur la bande annonce de L’échiquier du vent de Mohammad Reza Aslani, distribué cet été par Carlotta. Sorti en 1976, le film avait été confisqué par le gouvernement après la révolution iranienne avant de totalement disparaître des radars. Il y a quelques années, le négatif original a été retrouvé à Téhéran et a été pris en charge par La Film Foundation. Après une restauration réalisée par L’Image retrouvée et supervisée par le réalisateur lui-même et sa fille, L’échiquier du vent a pu retrouver le chemin des salles de cinéma, en dehors de son pays. 

Pour la directrice générale de la Film Foundation, ce long métrage iranien représente un cas typique du travail de son organisation fondée en 1990 par Martin Scorsese et sept de ses amis proches : Woody Allen, Francis Ford Coppola, Stanley Kubrick, George Lucas, Sydney Pollack, Robert Redford et Steven Spielberg. L’idée est partie d’une lettre en 1980 du réalisateur de Raging Bull qui s’inquiétait du manque de préservation des oeuvres après avoir vue Los Angeles une projection de Sept ans de réflexion de Billy Wilderdont les couleurs étaient délavées. Les objectifs étaient donc clairs pour la Film Foundation : protéger et préserver l'histoire du cinéma, sensibiliser et collecter des fonds, et construire des ponts entre les archives et les studios. 

Pour préserver et restaurer, l’organisation s’entoure de nombreux partenaires, à la fois issus du monde des archives, à savoir l’Academy Film Archive, l’Anthology Film Archives, le BFI, la Cineteca di Bologna, le George Eastman Museum, la Library of Congress, le MoMA, la National Film Preservation Foundation et UCLA et des studios, comme Fox (Disney), Universal, Sony, Paramount, MGM ou encore Warner Bros. Des relations construites au fur et à mesure, notamment par la force de persuasion de Martin Scorsese, qui, lors de la création de la Film Foundation, avait profité du succès et de l’estime des Affranchis pour mettre le pied dans la porte de chaque studio, d’énormes classeurs qu'il avait créés sous le bras comportant des listes A, B et C en fonction de l’urgence du besoin de restauration des films dans leurs propres collections. Heureusement pour lui qu’à l’époque, il y avait un marché émergent de la vidéo et que l'économie a permis de soutenir le plaidoyer de Marty. D’ailleurs, encore maintenant, même si les idées de restaurations émanent des archives et des studios, Martin Scorsese reste un pilier dans le choix des films à restaurer. « C’est comme s’il avait un flair pour ça » précise Margaret Bodde. 

Depuis 1990 et ses débuts presque artisanaux, la Film Foundation s’est spécialisée et s’est professionnalisée proposant de nombreux programmes qui ont permis, en tout, de restaurer quelques 900 films à ce jour. Margaret Bodde, qui y travaille depuis 31 ans, après un passage à la Bibliothèque du Congrès et chez Miramax (« Avant les oscars et la prison » précise-t-elle en souriant) a décrit les différentes actions de l’organisation : 

  • Le premier, et le plus important, reste le programme pour la préservation du cinéma américain. Et notamment pour le cinéma indépendant. Certains des films les plus vulnérables sont produits de manière indépendante et, bien entendu, leur préservation est cruciale, précisément parce qu'ils ont été réalisés en dehors des studios, par des cinéastes iconoclastes, souvent des femmes et des personnes issues des minorités ethniques, exclues de l’industrie. Un programme qui a permis de sauver de nombreuses oeuvres allant de Queen of Diamonds de Nina Menkes à Shadows de John Cassavetes. 

  • Chaque année, la Film Foundation dédie une enveloppe au cinéma expérimental et d’avant-garde qui est sûrement l’un des plus négligé et donc qui a plus de chance de disparaître définitivement. Ce programme a permis de restaurer jusqu’à présent 200 films de 78 cinéastes dont Jonas Mekas, Andy Warhol, Barbara Hammer ou Shirley Clarke. 

  • Depuis 2007, la Film Foundation a créé le World Cinema Project pour restaurer des films provenant de régions où les ressources sont rares et où il n'existe pas ou peu d'infrastructures d'archivage. Ce programme a été lancé au Festival de Cannes avec le soutien de Thierry Fremaux et de la Cineteca di Bologna. Au passage, la Film Foundation récupère les droits internationaux de diffusion des oeuvres permettant leur distribution, parfois pour la première fois en dehors de leur pays d’origine. À ce jour, le WCP a restauré 46 films provenant de 27 pays.

  • Le projet African Film Heritage a été créé en 2017 en partenariat avec la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci), l'Unesco et la Cineteca di Bologna. L’objectif du projet est d'identifier, de restaurer et de distribuer des films africains d'importance artistique, culturelle et historique. L'AFHP comprend 14 projets à ce jour, dont les restaurations récentes :  Lumumba, La mort d’un prophète de Raoul Peck de 1990 et Sambzanga de Sarah Maldoror.

  • Pour répondre à des besoins et des enjeux autour de l’éducation, la Fondation a créé The Story of Movies, le premier programme interdisciplinaire élaboré par des cinéastes, des universitaires et des éducateurs, dans une volonté d’éduquer les plus jeunes à l’image. The Story of Movies apprend aux jeunes à "lire" un film et à réfléchir de manière critique à la littératie visuelle et à la narration. Depuis sa distribution initiale en 2005, plus de 120 000 enseignants dans tous les États des États-Unis ont utilisé le programme, touchant ainsi 10 millions d'élèves de collège et de lycée.

Au-delà de faire découvrir ou redécouvrir des grandes oeuvres du 7e art, ce travail permet de la Film Foundation permet un nouveau regard sur l’histoire mondiale du cinéma, montrant les étonnants mouvements internationaux qui le traverse ainsi que sa capacité à saisir un zeitgeist. Pour se financer, l’organisation as établi au fil des ans des partenariats pluriannuels avec d’autres fondations, notamment la Hobson/Lucas Family Foundation dirigée par Mellody Hobson et George Lucas, membre du conseil d'administration. La Morf Foundation de Christopher Nolan, un autre membre du conseil d'administration, et d’Emma Thomas, apporte un soutien annuel. D'autres fondations comme la Material World Foundation, la Annenberg Foundation et la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé ont apporté un soutien crucial. Et depuis le début, The Film Foundation a créé des programmes en partenariat avec des entreprises, tel que American Movie Classics (aujourd'hui AMC) et son festival de préservation, diffusé à la télévision, qui a duré 9 ans et a permis de sensibiliser le public et de financer des projets. Nous avons actuellement des partenariats solides avec Turner Classic Movies et sa société mère WarnerMedia. Rolex, Gucci, Netflix et de nombreuses autres sociétés sont également de fidèles partenaires. Depuis 2002, The Film Foundation s'est alignée sur la Director's Guild of America, qui fournit un soutien annuel ainsi que les bureaux de la fondation à NY et LA.

Les films sont restaurés à partir du négatif original de la caméra, sauf s'il n'existe plus, auquel cas la Film Foundation travaille à partir des meilleurs éléments qui subsistent. Een collaboration avec ses partenaires d'archives, elle parcourt le monde pour retrouver les meilleurs éléments, car ils se trouvent souvent dans différentes archives et collections, et souvent nous recherchons une bobine ou une bande sonore manquante, ce qui implique un travail de détective tenace et la résolution d'énigmes. Comme le précise Margaret Bodde, « Nous mettons souvent bien plus de temps à restaurer un film que les cinéastes à le faire ». Dans la mesure du possible, l’organisation consulte le réalisateur ou l'héritier d'un film, ou d'autres collaborateurs créatifs impliqués dans la réalisation du film, mais parfois, dans les cas extrêmes, elle se fie aussi à la mémoire photographique de certains de ses membres comme Martin Scorsese et Steven Spielberg.

En conclusion de sa keynote, Margaret Bodde a remercié les distributeurs, éditeurs et organisateurs de festivals présents dans la salle, soulignant que leur travail de restauration et de préservation ne serait pas très utile s’il n’y avait personne pour diffuser et mettre à disposition du plus grand nombre ces oeuvres retrouvées. 

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