Accréditation

Table ronde I.A. - L’Intelligence Artificielle : un outil au service du patrimoine ?

Sujet épineux au regard des récentes grèves américaines, les Intelligences artificielles (I.A.) s’imposent de plus en plus dans le cinéma. Une problématique abordée par le 11e MIFC durant une table ronde, le jeudi 19 octobre. Celle-ci réunissait Rodolphe Chabrier, Julien Dupuy et Barbara Mutz, guidés par Perrine Quennesson, autour de la question de l’utilisation des I.A. dans le cinéma de patrimoine.

 

Cadrage de l’I.A.

Premier à prendre la parole, Rodolphe Chabrier a commencé par expliquer ce qu’est l’I.A. Il existe des I.A. utilisées dans la vie courante, telles que celles qui définissent quels mails sont indésirables et lesquels ne le sont pas, et puis des I.A. génératives, au cœur de la discussion. Cofondateur du studio de production Mac Guff, l’intervenant a décrit ces dernières comme une chose capable, à partir d’entrées, de donner des sorties. Pour cela, des datasets sont nécessaires, soit des millions de données de tout ordre. 

Les I.A. peuvent donc être comprises comme des outils de création, mais aussi être utilisées comme des outils d’indexation. Représentée par Barbara Mutz, responsable de son département des affaires juridiques et réglementaires, l’INA fait utilisation des I.A. de cette seconde façon. Avec plus de 25 millions d’heures d’archives dans son catalogue, faire usage d’une I.A. permet de mieux identifier les locuteurs, objets et sujets des images conservées. L’Institut national de l’audiovisuel peut alors proposer des contenus pertinents pour ses clients, ou à son propre compte. Par exemple, cela permet à l’Arcom de juger de la parité à la télévision.

 

I.A. : création ou copie ?

Outre l’indexation, se pose la question pour les intelligences artificielles génératives de la qualification de leurs créations. Pour Julien Dupuy, journaliste pour Trois Couleurs et chroniqueur dans « I.A. Quoi », les I.A. relèvent de l’inspiration plutôt que du plagiat. Pour lui, elles peuvent aider à réaliser des « fantasmes cinéphiles », et donc donner une perspective différente sur le cinéma : mettre en valeur une « patte » artistique, interroger la cinéphilie des créateurs, mettre en perspective les codes du cinéma. 

Rodolphe Chabrier partage cette vision. Pour lui, le cinéma de patrimoine peut bénéficier des intelligences artificielles en cela qu’elles permettent de restaurer mais aussi d’interpréter et d’améliorer un patrimoine. Les œuvres créées par des I.A. ne peuvent alors pas être reconnues comme les œuvres d’origine, mais comme des interprétations de celles-ci. 

En cela, Rodolphe Chabrier et Julien Dupuy sont unanimes : les I.A. sont des partenaires de la création, qui proposent plusieurs résultats pour arriver à ce que la personne, qui calibrait le logiciel avec des prompts précis, avait en tête.

 

L’utilisation dans le cinéma de patrimoine 

Le cofondateur des studios Mac Guff poursuit ensuite sur l’utilisation des I.A. dans le cinéma de patrimoine, argumentant que leur usage peut être bénéfique aux œuvres classiques. Il cite l’exemple de L’arrivée du train en gare de La Ciotat : grâce aux I.A., l’image peut être plus fluide (en ajustant la frame rate), éviter des saccades, rajouter de la colorisation. L’I.A. peut alors donner vie à un patrimoine lointain, pour le rapprocher des spectateurs contemporains, et créer de la proximité entre une société d’antan et celle d’aujourd’hui. Elle peut aussi créer une image de meilleure qualité, en isolant et corrigeant des défauts visuels comme des lumières, des visages flous ou la coloration des pellicules.

Les intelligences artificielles peuvent aussi aider au stockage et à la diffusion des images de patrimoine. En effet, les I.A. aident à compresser des catalogues, rendant la conservation et la diffusion d’œuvres de patrimoine moins contraignantes.

Du côté des contraintes, il explique aussi que les intelligences artificielles permettent de réduire les coûts de restauration : auparavant des studios pouvaient facturer en heures, désormais avec les I.A. la facturation se fait en minutes. Les coûts sont divisés par trente. 

Enfin, il est possible de faire revivre un patrimoine perdu : c’est notamment le travail des studios Mac Guff dans l’émission L’hôtel du temps, dans laquelle Thierry Ardisson reçoit des célébrités disparues pour refaire leur biographie. Une prouesse réalisée grâce aux technologies du Face Engine.

 

Questions juridiques et financières

De ces problématiques, naissent des question juridiques et économiques. En effet, l’I.A. interroge sur la question du droit moral des auteurs. A ce sujet, Barbara Mutz explique qu’il existe un début de législation propre aux intelligences artificielles, issue d’une directive de 2019. Les intelligences artificielles se fondant sur des exceptions aux droits d’auteur et aux droits voisins, les I.A. vont renverser la règle générale qui veut qu’une autorisation doit être demandée pour utiliser une image. Ici, ce qui n’est pas interdit est compris comme autorisé : une I.A. peut donc fouiller dans des œuvres si elle y a eu accès licitement, et si les auteurs titulaires de droits ne s’y sont pas opposés par des procédés lisibles par des machines. Dans le cas inverse, il est question d’un opt-out. Elle cite l’exemple de la Sacem, qui a exercé cet opt-out pour tous ses membres. Mais si cette législation est un début, Barbara Mutz réaffirme le besoin d’outils pour aider à appliquer au mieux l’opt-out, avec une mise en œuvre effective pour les titulaires de droits.

De cette question juridique des droits d’auteurs découle une question financière : les utilisateurs d’I.A. doivent-ils payer des droits aux créateurs des œuvres rentrées dans les datasets ? Et si oui, comment le faire ? Pour Rodolphe Chabrier, les œuvres générées par I.A.relèvent de l’inspiration, il est donc difficile de rémunérer les artistes dont le logiciel s’est inspiré. Le cofondateur des studios Mac Guff n’est pas opposé à l’idée d’une juste rémunération, qu’il essaye d’ores et déjà d’appliquer sur les datasets qui sont traçables. Il juge cependant difficile de définir qui doit être rémunéré, si toutes les données du dataset n’ont pas été utilisées par l’I.A. 

À Barbara Mutz d’ajouter que le respect du droit d’auteur, la transparence et la traçabilité sont fondamentales dans le cadre de l’utilisation de l’IA. Les notions de parasitisme et de concurrence déloyale ont aussi été évoquées, ainsi que le problème de la clearance, pendant un temps d’échange avec un le public.

Ce site nécessite l'utilisation d'un navigateur internet plus récent. Merci de mettre à jour votre navigateur Internet Explorer vers une version plus récente ou de télécharger Mozilla Firefox. :
http://www.mozilla.org/fr/firefox