Partie 1 - Quelle évolution de l’écosystème de la filière du Patrimoine ?
Plusieurs acteurs du cinéma de Patrimoine se sont retrouvés au Marché International du Film Classique pour débattre sur l’évolution de cette branche à l’heure des plateformes dématérialisée. Un rendez-vous présenté par le modérateur Laurent Cotillon, Directeur exécutif du Film Français.
Mercredi 14 octobre 2020, salle Karbone. Deuxième journée de la 8ème édition du Marché International du Film Classique (MIFC) : Olivier Henrard (Directeur général délégué du CNC), Nathanaël Karmitz (Président du directoire chez mk2 et Grand Témoin du MIFC 2020), Marion Lingot (avocate à la Cour, Associée, Fiducial Legal by Lamy), Jérôme Soulet (Directeur du catalogue Gaumont) et Thierry Schindelé (Directeur général d’Hiventy) sont venu débattre ensemble de la filière du Patrimoine. Une branche du cinéma actuellement en pleine mutation après l’apparition des plateformes dématérialisées et la récente crise sanitaire liée à l’apparition du Covid-19. Thierry Frémaux (Directeur général de l’Institut Lumière) est venu introduire cette table ronde : “Je suis toujours comme le bon samaritain qui ne croit pas à la mort du cinéma, la mort du DVD, la mort des salles. On réagit toujours face à la négativité. Concernant le cinéma de Patrimoine, c’est pareil. On essaie de faire exister de vieux films. Même si les chiffres du marché visé sont en baisses, il reste une vraie demande et de riches catalogues à notre dispositions. On veut vivre entourés de DVD/Blu-ray, des films qui nous ont faits.”
Après cette introduction en la matière visant à ouvrir la discussion, Laurent Cotillon, modérateur, a d’emblée demandé à Olivier Henrard d’expliquer la définition d’un film de Patrimoine. Car parfois cette terminologie reste un peu floue. “C’est un film qui est important au regard de l’Histoire”, commence le directeur général délégué du CNC. “Un film significatif d’une période, d’un catalogue, d’un progrès technologique ou de l’évolution de son réalisateur.” Une fois cette base posée, Olivier Henrard a réaffirmé la position du CNC dans la préservation du cinéma de Patrimoine, garantissant que c’est “une mission qui compose [notre] ADN depuis 50 ans.” Le directeur général délégué a notamment précisé que, de 2012 à 2017, le CNC avait mis en place un financement exceptionnel de 70 000 000 d’euros consacré à un plan de restauration. Une aide financière mis à la disposition des ayants-droits. A l’issue de ce programme, plus de 1200 films de Patrimoine ont pu être restaurés. En 2021, un petit peu moins de 3 000 000 d’euros vont être consacrés à la numérisation des films de Patrimoine. Olivier Henrard enchaîne : “Dans le plan de relance que la ministre de la Culture a annoncé il y a quelques semaines, le Patrimoine a sa place. Nous avons 105 000 000 d’euros au CNC pour financer les nouvelles mesures et sur ces 105 millions, nous avons quasiment 2 000 000 d’euros qui seront dédiés au Patrimoine. Soit, pour moitié, un soutien aux cinémathèques françaises et un petit peu moins d’un million d’euros qui vont nous permettre de muscler nos aides sélectives à l’édition vidéo pour permettre à la filière de se déployer dans l'appellation du Patrimoine.” Le Directeur général déléguée du CNC a également confirmé que la perpétuation du cinéma de Patrimoine envers le jeune public était un élément crucial de leurs missions.
Le président du directoire chez MK2 et Grand Témoin du MIFC 2020, Nathanaël Karmitz, est quant à lui revenu sur l’offre et la demande dans le cadre du cinéma de Patrimoine. “Il ne faut pas attendre tout attendre de la demande, il faut que l’on fasse exister les films de Patrimoine par la proposition et l’accessibilité des oeuvres. La diffusion reste le vrai problème car l’appétence pour ce cinéma est là… Mais il faut aller la chercher.” De son côté, Jérôme Soulet, directeur du catalogue Gaumont, a émis un peu plus de réserve sur l’exposition des oeuvres de Patrimoine, notamment à travers les plateformes dématérialisées qui sont aujourd’hui bien ancrées dans la vie des spectateurs. “Au risque d’être dans le vent contraire, il faut comprendre que ces gens-là sont des marchands. Ils ont des objectifs qui ne sont pas la diversité culturelle ni l’éducation à l’image. Leur but c’est de faire de l’argent. C’est pareil pour les chaînes de télévisions privées… On peut taper sur les plateformes, lorsqu’une chaîne privée, le dimanche soir à 22h00, a le choix entre une comédie américaine au casting fort et un film de Patrimoine en noir et blanc, également avec un casting fort mais qui date d’il y a trente ou quarante ans, le choix de l’antenne par rapport à la publicité va être très vite fait.” Il explique également que le jeune public s’est détourné des salles, y compris et surtout du cinéma de Patrimoine, notamment les 15/25 ans. Pour lui, cette tranche d’âge est “d’ores et déjà perdue”, en particulier à cause du secteur du jeux vidéo qui a explosé ces dernières années. Jérôme Soulet pense que les 15/25 ans reviendront vers le cinéma lorsqu’il y aura une transmission familiale dans quelques années. Olivier Henrard commente à son tour la désertion des salles de cinéma chez le jeune public : “L’âge moyen des spectateurs en salles ne fait que reculer… L’intégration des plateformes dans notre écosystème est un chantier historique, cela ne va pas se faire du jour au lendemain. C’est un sujet des politiques publiques. Il va falloir qu’on s’en saisisse, qu’on en parle avec les plateformes aussi.”
Nathanaël Karmitz attrape la balle au bond : “On ne peut pas dire que c’est d’office perdu. Ce serait très cynique. Dans nos métiers, il ne faut jamais baisser les bras. Nous devons ramener un par un tous ces mômes. Le problème fondamental vient du prix des places de cinéma, surtout quand on voit qu’un ticket est l’équivalent d’un abonnement mensuel à n’importe quelle plateforme. C’est un frein pour tous ces jeunes, nous le voyons en région parisienne avec nos salles.” Le Grand Témoin du MIFC 2020 a recontextualisé certaines réalités statistiques, notamment que le mk2 Bibliothèque, à Paris, avec une place à 4.90 euros pour les moins de 26 ans représentait une fréquentation de 1 000 000 de jeunes spectateurs par an. “Pour tous les types de cinéma et intégralement en version originale. Ce sont des gens qui viennent de toute l’Ile-de France. La fréquentation des jeunes a augmenté dans nos salles. C’est quelque chose de visible.”, renchérit Nathanaël Karmitz. Concernant l’éducation à l’image, le Président du directoire chez mk2 affirme qu’il manque des dispositifs, y compris au niveau de la formation de professeur d’éducation à l’image. Une importance capitale et nécessaire pour lui en vue de perpétuer l’appétence des plus jeunes au cinéma, notamment celui de Patrimoine. Thierry Schindelé, directeur général d’Hiventy, acteur incontournable de la prestation technique audiovisuelle française et internationale, explique que les progrès technique du côté des diffuseurs est un éternel recommencement. Déjà à cause des multiples formats (HDU, 4K, etc…) et certains paradoxes liés à la restauration : “Il est parfois plus facile de restaurer un films de plus de 30 ans qu’un qui a moins de 15 ans d'existence. L’arrivée de nouvelles technologies amènent forcément de nouveaux types de restauration. Tout s’accélère très vite alors que pendant un temps on pensait que la 4K serait un format définitif.” Nathanaël Karmitz a ainsi réaffirmé l’importance de soutenir les labos qui travaillent à la restauration de films de Patrimoine mais qui parfois manquent de moyens financiers.
Marion Lingot, avocate à la Cour, Associée, Fiducial Legal by Lamy, prend la parole à son tour sur l’aspect juridique du cinéma : “L’accès aux oeuvres, et cela encore plus depuis la crise sanitaire que nous avons traversé, passe essentiellement aujourd’hui par la voie du numérique. C’était déjà une tendance avant, aujourd’hui cela s’est accentué. Le marché du numérique est composé d’acteurs essentiellement intéressés par leur ‘business model’ et donc ce sont des commerçants comme les autres. Le cinéma est entré depuis quelques temps dans le girons des comportements des entreprises numériques. S’il y a des mutations actuelles, il y a aussi des leviers juridiques pour vérifier les pluralités d’offres des produits, la protection des auteurs et des ayants-droits. Ainsi que les lois contre le piratage.” Enfin, le cas de la diffusion télévisuelle du cinéma de Patrimoine a lui aussi été abordé en fin de table ronde. Si le travail d’Arte a été loué, y compris durant le confinement, certains interlocuteurs du MIFC 2020 ont taclé France Télévisions. Des arguments qui ont été avancé durant la Tribune des éditeurs vidéo hier, mardi 13 octobre. Nathanaël Karmitz a qualifié la programmation du groupe télévisuel de “plate”, avant d’enfoncer le clou en affirmant que “France Télévisions a abandonné depuis plus de dix ans le terrain du cinéma de Patrimoine.” Le président du directoire chez mk2 et Grand Témoin du MIFC 2020 a conclu cette rencontre modérée par Laurent Cotillon en expliquant que nous traversions un moment difficile mais qu’il fallait en “profiter pour changer les choses.”
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