Pays invité d’honneur de la 12e édition du MIFC, la Lituanie présente une filière patrimoine particulièrement vivante, incarnée par de nombreux acteurs et des projets de grande envergure. Face à Ariel Schweitzer, historien du cinéma, critique, conférencier et modérateur de cette table ronde inédite, Aleksas Gilaitis, Dmitrij Gluščevskij, Lina Kaminskaitė-Jančorienė, Giedrė Simanauskaitė et Jonas Zagorskas décrivaient en détails l’avenir de la filière classique lituanienne.
Une filmographie très controversée
L’histoire du cinéma lituanien débute en 1909, avec des films d’animation signés par Ladislas Starewitch. Ses courts métrages sont le début d’une cinématographie tourmentée, marquée par la guerre et l’occupation, qui amène le cinéma lituanien à longtemps souffrir de la censure. Ce n’est qu’en 1991 que la Lituanie accède à son indépendance.
Pour autant, le cinéma ne s’est pas arrêté, les artistes ayant au contraire trouvé de nouveaux moyens de créer. Dmitrij Gluščevskij, conservateur et critique de cinéma, responsable des acquisitions, Radio et télévision nationale lituanienne, LRT, explique ainsi que certains films réalisés pendant l’occupation soviétique ou pendant les deux guerres mondiales se sont soumis aux contraintes de la censure, tandis que d’autres les ont contourné. Utiliser l’Enfance comme sujet était l’une des stratégies les plus utilisées.
Mais face à cette filmographie, se pose la question de son identité : est-elle identifiée comme du cinéma lituanien ? Cette problématique est notamment soulevée au moment de la distribution. Montrer ces films reviendrait en quelque sorte à faire acte de décolonisation.
Une thématique abordée par Lina Kaminskaitė-Jančorienė, docteure spécialiste du cinéma, chercheuse et conservatrice de films du patrimoine au Media Education and Research Center Meno Avilys. Avec les acquisitions de collections de films, consolidant des archives fortes de plus de 13 000 titres, le débat s’est ouvert selon elle sur la reconstruction après l’occupation soviétique, interrogeant la manière de l’aborder et de faire communauté face à ce patrimoine controversé. Dmitrij Gluščevskij évoque alors les distributeurs, qui ne savent pas comment montrer de telles créations.
Un héritage colossal qu’il convient de montrer, mais comment ?
Ces dernières sont rapatriées en Lituanie après des négociations avec la Russie, rapporte Lina Kaminskaitė-Jančorienė. En tout, ce sont 11 000 films qui ont été récupérés, et qui ont été confiés à ce qui deviendra bientôt la cinémathèque lituanienne, précise Giedrė Simanauskaitė, responsable du projet de la Cinémathèque nationale, Lithuanian Film Centre. À ces archives, s’ajoutent 2,500 films qui ne sont pas des films lituaniens, mais plutôt des films internationaux qui n’étaient pas montrés pendant l’occupation soviétique.
Se pose alors la question de montrer ces œuvres, aussi bien lorsqu’elles sont nationales qu’internationales. Le festival d’Aleksas Gilaitis, Pirmoji Banga (La première vague), qui a été lancé en 2016, propose une première solution. En perpétuant la tradition de la projection de films muets et parlants en 35 mm, limitée à Vilnius, car c’est là que se trouve le dernier cinéma possédant la technologie nécessaire pour le faire, les films sont montrés à un public national. Ceux qui sont diffusés sont très internationaux, le festival ne faisant pas la promotion du cinéma national et prenant plutôt un rôle éducatif. Il souhaite montrer l’époque, avec une seule projection par film, pour en signifier l’importance.
Pour Lina Kaminskaitė-Jančorienė, le travail de numérisation des films est une autre chance, rendant possible la diffusion à de nouvelles audiences pour replacer la cinématographie lituanienne dans l’histoire du cinéma et la rendre plus accessible. Mais la filière reste limitée face à un marché aussi compétitif, les distributeurs ne sachant pas comment toucher le public international.
Dmitrij Gluščevskij précise que la tradition d’aller au cinéma s’est perdue en Lituanie, et qu’elle se développe à nouveau petit à petit grâce aux blockbusters américains et au cinéma de patrimoine. Les films d’archive sont particulièrement attendus par le public, un travail de présentation est donc nécessaire. Reste à enseigner la curiosité de se rendre au cinéma au public, notamment pour des titres qui ne rentrent pas dans les cases habituelles du cinéma lituanien.
L’avenir de la filière : la création d’une cinémathèque
Sur la création de la cinémathèque lituanienne, l’une des premières contraintes a été de stocker les nombreux éléments des archives. Faute de détenir les droits de tous les films, Dmitrij Gluščevskij raconte qu’ils se sont demandés s’ils devaient les stocker. Finalement, la préservation a primé. Ils ne possèdent donc pas les droits des films qui constituent leurs archives, mais tous expliquent que c’est une problématique commune à d’autres cinémathèques, comme celle de Bologne.
Né il y a plus de dix ans, avant la fondation du Film Center en 2012, le projet de la cinémathèque lituanienne prend forme en 2019. Ses défenseurs souhaitent en faire un endroit complet, comprenant de l’éducation aux images, des espaces de travail pour la restauration et des résidences, ainsi qu’une base pour leurs archives déjà bien fournies. Pour l’heure, le projet de cinémathèque tire ses financements de l’Union européenne à hauteur de ⅔ de son budget, contre ⅓ attribué par le ministère de la Culture.
Fait notable, si le principe d’une cinémathèque est évident dans de nombreux pays d’Europe, comme la France ou l’Italie, Dmitrij Gluščevskij précise qu’en Lituanie le travail des cinémathèques a déjà débuté sans qu’elles n’existent. Un réseau d’organismes se sont attelés pour stocker et restaurer le patrimoine lituanien, ce qui déboutera la cinémathèque d’un rôle de centrale, au contraire. Elle s’inscrira dans un écosystème déjà bien fourni, proposant un nouveau modèle de fonctionnement.
Que retenir de la filière restaurative en Lituanie
Filière en pleine expansion, le monde de la restauration prend ses marques en Lituanie, mais n’est pas en reste concernant ses projets. Comme l’explique Jonas Zagorskas, restaurateur de films à la Cinémathèque nationale de Lituanie et coloriste au studio BBposthouse de Vilnius, membre d’une équipe très réduite et peu formée, le premier obstacle à la restauration dans le territoire balte est leur manque de qualification, auquel ils remédient : ils se sont formés cet été à Bologne. Leur second obstacle est leur matériel, qui n’est pas adapté à leurs pellicules, et leur difficile accès aux négatifs. En effet, il raconte que son équipe travaille sur des positifs de moins bonnes qualités que les négatifs, souvent stockés en Russie, avec un scan pour négatifs. Ils viennent tout de même d’obtenir un scan pour positifs et se préparent à rescanner des pellicules sur lesquelles ils avaient déjà travaillé. En tout, c’est environ un film qui est restauré tous les 6 mois, tiré de copies en 35 ou 60 mm. L’avenir semble tout de même florissant, alors que Jonas Zagorskas est en discussion pour créer un laboratoire commun avec la Lettonie.
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