Accréditation

TABLE RONDE JURIDIQUE - Le droit moral dans tous ses états

A l’occasion de cette première table ronde du 12e Marché International du Film Classique, la SACD a ouvert le bal en s’intéressant au droit moral. Autour d’Isabelle Meunier, responsable du service de négociation des contrats de production audiovisuelle, Direction des Affaires Juridiques et des Contrats Audiovisuels à la SACD, on pouvait retrouver Pascal Kamina, professeur des Universités, Master droit du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia à la Faculté de droit de l’Université Jean Moulin Lyon 3, Nicolas Pagnol, président du Fonds de dotation Marcel Pagnol et Ellen Schafer, directrice de l’exploitation des catalogues chez Argos Films/Cité Films. 

Le droit moral est un concept souvent  mal connu mais omniprésent dans le monde de la création. Souvent évoqué dans les contrats, notamment depuis l'instauration d'une clause type en 2021 entre auteurs et producteurs, il définit un ensemble de droits inhérents à l'auteur, lui conférant un pouvoir de contrôle sur l'exploitation de son œuvre.

Selon Pascal Kamina, le droit moral comporte quatre prérogatives essentielles : 

  • Le droit de divulgation : droit de décider quand et comment son oeuvre va être divulguer pour la première fois (ou ne pas le divulguer par ailleurs)
  • Le droit à la paternité
  • Le droit au respect de l’oeuvre : respect de l’intégrité (modifications, altérations…), mais également de l’esprit de l’oeuvre (associations contestables, contexte de l’exploitation)
  • Le droit de retrait ou de repentir : droit de revenir sur un contrat de cession et de retirer l’oeuvre du commerce. Très rarement exercé, car condition d’indemnisation préalable

Dans le régime commun, les droits moraux sont : 

  • Attachés à l’auteur (au sens de la loi française, même pour les films étrangers) et  à leurs héritiers (ordre successoral normal, sauf droit de divulgation -> règles spéciales dévolution/exercice)
  • Perpétuels (donc sur oeuvres du domaine public)
  • Incessibles, l’auteur ne peut pas y renoncer 
  • Leur exercice est en principe « discrétionnaire » (mais contrôle minimum sur le droit au respect, abus…)
  • Pas d’exceptions, quelques limitations à leur exercice (exemple : domaine audiovisuel : sur l’oeuvre achevée uniquement)

D’un point de vue international, il y a très peu d’harmonisation de ce droit moral, même au niveau européen. Il est moins protégé dans certaines législation avec notamment une durée limitée des droits patrimoniaux, des restrictions de son application (il faut qu’une atteinte soit importante pour qu’il puisse être appliqué). A noter que dans le copyright américain, il n’y a pas du tout de droit moral. Pascal Kamina précise que, même si le droit moral est important et fort en France, de nombreuses jurisprudences et une tendance plus restrictive à son application tendent à rogner sur ses possibilités. 

De son côté, la directrice de l’exploitation des catalogues chez Argos Films/Cité Films, Ellen Schafer, nous a donné un panorama riche et complexe des défis posés par le droit moral dans la gestion des catalogues. À travers plusieurs exemples concrets, elle illustre les tensions entre les aspirations des créateurs et les exigences du marché :

  • Intégrité de l'œuvre et restauration : Lorsque Nuit et Brouillard est sorti, une censure, validée par l’auteur, faisait partie intégrante du film à sa sortie. On y voyait un gendarme dissimulé derrière un poteau peint directement sur la pellicule. A l’occasion de la restauration, Alain Resnais a demandé à faire retirer cette censure pour retrouver le plan original, comme il avait été tourné. 
  • La diffusion - les nouvelles exigences : Désormais, Netflix exige le sous-titrage intégral des oeuvres diffusées sur la plateforme. Mais pour Les ailes du désir, il a été obtenu, après une longue discussion, qu’une partie ne soit pas sous-titrée, selon le souhait initial et créatif du réalisateur Wim Wenders. 
  • Adaptation à de nouveaux supports et formats : Lors de l’édition en coffre de Sans Soleil de Chris Marker, Potemkine et Argos Films souhaitaient ajouter en bonus le livre "Le Dépays" de Chris Marker (1982). Il a fallu convaincre 13 ayants droit tant au niveau de la pertinence de choix que sur la qualité du papier, par exemple. 
  • Censure et autocensure : L'interdiction de certaines scènes de lesbianisme de La grande bouffe en Russie en raison de la nouvelle législation sur les représentations LGBTQ illustre les contraintes liées à la diffusion d'œuvres à l’étranger. 
  • Œuvres dérivées et adaptations : Les ciné-concerts, qui peuvent être des réinterprétations de la musique originale ou l’inclusion d’une musique totalement différentes comme pour La planète sauvage de René Laloux, l’utilisation du film comme matière pour un défilé (comme l'utilisation de Les ailes du désir par Louis Vuitton) ou encore les adaptations ou proximité (comme entre Au hasard, Balthasar de Robert Bresson et Eo de Jerzy Skolimowski) posent des questions complexes sur les limites de l'exploitation d'une œuvre.

Si les exemples précédents montrent des questionnements liés au droit moral qui ont, finalement, trouvé une issue positive, ce n’est pas toujours le cas.Les différentes versions du texte de Nuit et Brouillard, notamment par la sortie en Allemagne, ou une version officielle, validée par Alain Resnais, et une non-officielle et non-validée, devaient être l’objet d’une exposition et d’une projection en Allemagne. Ce qui a été refusé par les ayants droit d’Alain Resnais car la 3e version n’était pas censée exister. A noter qu’Ellen Schafer précise qu’il est très difficile de mettre en application ce droit moral dès que la problématique vient de l’étranger, car il est difficile de vérifier le respect ou non de son application. 

La table ronde s’est terminée avec le cas concret d’un ayant droit confronté à la fois à la valorisation de son patrimoine et la difficulté de le faire dans respect de son aïeul. C’est le cas de Nicolas Pagnol, petit-fils de Marcel Pagnol, il est aussi le garant et le gérant du patrimoine littéraire et cinématographique de son grand-père. Il a ainsi exposé quelques cas. 

La difficulté de faire valoir ses droits : Malgré le fait que Nicolas Pagnol ait hérité du droit moral de son père, il a rencontré des obstacles pour imposer sa vision lors d'adaptations de l'œuvre. Par exemple, pour l'adaptation de Fanny à la Comédie-Française, il a expliqué qu’il aurait dû négocier, au moment du contrat, un accès plus important aux répétitions pour s'assurer que l'esprit de l'œuvre soit respecté.

Les pressions des producteurs et des diffuseurs : Si le contrat s’effectue avec le producteur, ce n’est pas le cas avec d’autres éléments importants de la composante d’un film, comme une chaine de télévision qui peut, aussi, imposer ses choix artistiques. C’est ce qui s'est passé pour le casting de Le temps des secrets où la chaine souhaitait vraiment le comédien Kad Merad pour incarner Joseph Pagnol quand la famille trouvait qu’il ne correspondait pas à l’homme qui avait vraiment existé. Le Covid en a décidé autrement et ce fut finalement Guillaume de Tonquédec qui a hérité du rôle. 

La préservation de l'intégrité de l'œuvre : La famille Pagnol a dû faire des choix difficiles concernant la diffusion d'œuvres inachevées ou controversées, comme La prière aux étoiles ou Gaby ou la belle et l'argent. La volonté de préserver l'image de Marcel Pagnol et de ne pas altérer sa vision et ses choix ont parfois conduit à des décisions limitent l'accès du public à ces œuvres.

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